Jacques Rivière – Jean-Richard Bloch

Extraits de 4 lettres tirées de leur correspondance

Publication de l’Association des Amis
de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier

(n° 71/72/73 – 2°- 3°- 4° Trimestre 1994)

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De Jean-Richard Bloch à Jacques Rivière

20 mars 1920
Mon cher Rivière,

[ … ]

Je conçois votre perplexité en face de mes haïkaïs. En effet les apparences de l’extrême concision avoisinent celles de l’extrême banalité. Avez-vous jeté les yeux sur le livre de Couchoux* (sic) ? Les exemples de poésie japonaise qu’il donne sont à cet égard bien curieux et bien renseignants.

Un tercet comme celui-ci :

Autour de la source
Dans le milieu du grand pré
Six lavandières bleues.

(illisible) trois journées de méditation et d’essais au cours desquels j’ai successivement éliminé tout ce que présentent d’abord de diffus le halo des sensations que m’avaient fait éprouver une vallée, son cours d’eau, ses collines, ses ormes et ses noyers, son ciel d’hiver indigo, sa route en spirale, ses prés, ses canaux d’irrigation pleins d’outremer ruisselant, et enfin son lavoir rustique. Réduite au diamant central qui servait d’axe à cette nébuleuse, la sensation pure conserve-t-elle un magnétisme suffisant pour que l’imagination du lecteur la réenveloppe d’une nouvelle nébuleuse de sensations secondaires, un nouveau tableau sans doute différent, mais à sa façon complet ? Les Japonais l’ont cru. J’en ai été frappé ; derrière eux je le crois et mes premiers essais confirment cette conviction. Il importe que le poète ne se trompre pas de diamant, ni de moyen. Mais n’aurait-il pas commis cette erreur, il n’en est pas moins vrai que nous nous trouvons là en présence d’un effet artistique inverse de celui que poursuit notre poétique européenne, et par-là même assez déconcertant.

Tous les petits poèmes que je vous ai envoyés ne sont pas nés à la façon d’un théorème. Quelques-uns ont jailli d’emblée avec la simplicité de lignes essentielle d’un croquis ; mais c’est que l’élaboration préliminaire avait eu lieu dans l’inconscient ; ils ne sont pas toujours les meilleurs. L’expérience de ces deux derniers mois m’a révélé une chose à laquelle je n’étais nullement préparé, c’est la force de suggestion que recèlent ces petits linéaments. Je vous avoue que je ne m’y attendais pas et les preuves répétées que chaque journée m’apportent (sic) me laissent encore étonné. Tout cela n’a aucunement pour objet de vous persuader qu’ils doivent vous plaire. Mais vous explique que j’attends votre opinion avec une curiosité où vous voudrez bien ne voir que le prix que j’attache à votre jugement.

( … )

* Paul-Louis Couchoud, Sages et poètes d’Asie, Calmann-Lévy

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De Jacques Rivière à Jean-Richard Bloch

5 mai 1920
Mon cher Jean-Richard,

( … )

Mais avant de repartir, je tiens à m’excuser de vous avoir laissé si longtemps dans l’incertitude au sujet de vos « haï-kaïs », et à vous proposer la combinaison suivante :

L’idée est venue à Jean Paulhan, et je l’ai trouvée fort bonne, de donner dans un des prochains numéros de la NRF une petite anthologie de haï-kaïs français. Il a déjà obtenu de Couchoud une préface. Il y aura des poèmes de Paul Eluard, Maublanc, Vocance, Bouglé.

Voulez-vous me permettre de faire un choix parmi ceux que vous m’avez envoyés, et qui me paraissent, en définitive, d’une exquise qualité.

Un mot de réponse, je vous prie, que je sois fixé avant mon départ.

( … )

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De Jacques Rivière à Jean-Richard Bloch

16 juin 1920
Mon cher Jean-Richard,

Je comprends vos regrets, mais je dois ajouter à ma lettre précédente que l’exquise qualité de vos haï-kaïs m’est apparue principalement en fonction, si je peux dire, d’autres haï-kaïs qui n’étaient pas de vous. Je ne doute pas qu’il n’en soit ainsi pour nos lecteurs : présentés seuls, vos haï-kaïs rebuteraient d’abord les uns, enchanteraient les autres, sans doute, mais dans les deux cas, ce serait, je le crains, en tant que haï-kaïs et non pas en tant que vos haï-kaïs. Tenez-vous à une estime, qui devrait trop à la surprise ?

J’avais l’intention de donner la première suite en entier*. Il n’y aurait là ni « amputation » ni opération capable de donner à vos poèmes une forme « impressionniste et discontinue ». Répondez-moi donc, je vous prie, que vous me faites confiance.

( … )

* cf. article de la NRF de septembre 1920, avec la suite de Jean-Richard Bloch intitulée : « Maison en Poitou »

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De Jacques Rivière à Jean-Richard Bloch

18 septembre 1920
Mon cher Jean-Richard,

Je suis trop incompétent sur l’art du Haï-Kaï pour décider si, après la petite introduction de Paulhan, il reste encore quelque chose à en dire. C’est vous qui pouvez le savoir mieux que moi. Si vous m’envoyez une note sur la question, je vous promets de la lire avec la plus sympathique attention. Mais je ne puis prendre aucun engagement touchant sa publication. J’ai peur, je vous l’avoue, que le public ne comprenne pas très bien notre insistance à discuter les possibilités d’un genre dont nous lui avons déjà présenté les réalisations.

( … )