Haïchtis

Aujourd’hui, le haïku se pratique dans toutes les langues et, pour ce qui concerne la France, y compris dans des langues régionales, par des auteurs reconnus, spécialistes en la matière. On pourra citer pour exemple le breton avec Alain Kervern et Rozenn Milin, ou l’occitan avec Michel-François Lavaur et Sergi Viaule (cf. Anthologie du haïku en France – Editions Aléas – 2003).

Alors, pourquoi pas des haïkus en « chtimi » ou, pour employer un terme de linguiste, en patois picard ? Car, pour ceux qui en douteraient encore, le chti est bel et bien une langue à part entière, officiellement reconnue comme l’une des 75 langues de France (rapport Cuquiglini – 1999) et comme langue régionale endogène en Belgique (décret de la Communauté Wallonie – Bruxelles – 1990).

J’ai donc essayé d’écrire des haïkus en chti (des haïchtis, donc …), le plus souvent, au départ, en transposant des haïkus précédemment écrits en français. Il me faut à ce niveau apporter deux précisions :

  • D’une part, le chti que j’emploie est celui de la région de Roubaix – Tourcoing, sachant que de nombreuses variantes locales existent sur l’ensemble du territoire d’implantation du chti dans le Nord de la France.
  • D’autre part, le chti étant plutôt une langue orale, sa transcription écrite peut donner lieu à de nombreuses variantes orthographiques (et empiriques …). L’important, dès lors, sera de lire les textes à voix haute, la meilleure façon de coller au mieux à la prononciation des haïchtis.

Enfin, mon souhait est d’ouvrir cet espace de publication à tous ceux qui écrivent des haïkus en chti. J’avoue aujourd’hui ne pas connaître d’autres haïkus en chti que ceux de Patrick Blanche (non publiés pour l’instant) et les miens.

N’hésitez donc pas à m’envoyer des informations à ce sujet, et à me transmettre vos compositions : je ne manquerai pas de les publier sur ces pages.

cloque du soir –
l’brut d’ches pronnes
blettes qui tchett’

cloche du soir –
le bruit des prunes
gâtées qui tombent

tchot’ pleufe –
l’tchant d’ches moviars
à l’brenne

petite pluie fine –
le chant des merles
au crépuscule

premis biaux jours –
su’ l’c’min du canal
des biclos tout neus !

premiers beaux jours –
sur le chemin du canal
des vélos flambant neufs !

vint d’octob’ –
les feulles rat’lées
tcheurent acore in vo

vent d’octobre –
les feuilles râtelées
s’échappent à nouveau

vint d’septimb’ –
les loques de l’semaine
su’ l’corde à buée

vent de septembre –
les vêtements de la semaine
sur la corde à linge

au mitan de l’nut –
l’leune arwète un cop
dins l’majon

milieu de la nuit –
la lune jette un coup d’œil
dans la maison

drache d’octob’ –
ches tchampignons, au moinse
i zont in capiau …

averse d’octobre –
les champignons, eux au moins
ont un chapeau

nut sins leune –
su’ l’route tout frèque
ches leumir’ de l’rue

nuit sans lune –
les lumières de la rue
sur l’asphalte mouillé

vint d’hiver –
l’feumée des c’minées
coutchi su’ ches tots

vent d’hiver –
la fumée des cheminées
couchée sur les toits

ch’glin fermé –
l’cat des vigins i fait
l’tour de l’majon

porte fermée –
le chat des voisins fait
le tour de la maison

voyageux in foufèle –
in coulon pluque des miettes
au mitan du quai

voyageurs pressés –
un pigeon picore des miette
au milieu du quai

souper aux candèles –
l’omb’ d’ches verres dinse
su’ l’nappe du diminche

dîner aux chandelles –
l’ombre des verres danse
sur la nappe blanche

« i n’est pos mauvais ! »
ouais, mais su’ mes mollets
s’guiffe tout frèque …

« il n’est pas méchant ! »
oui, mais sur mes mollets
son museau humide …

ches is dins l’berdoule
l’afant tcheure à l’ferniète
– l’rue blanque d’neige

à peine éveillé
l’enfant court à la fenêtre –
la rue blanche de neige

cop d’pid au but –
inne gauque dins l’coin
de l’bouque à l’égout

coup de pied au but –
une noix dans la lucarne
de la bouche d’égout

debout à l’ferniète –
du tot de l’baraque du gardin
in moviar m’arwète

debout à la fenêtre –
du toit de l’abri de jardin
un merle m’observe

premis biaux jours –
même ches mouchons n’veul’nt pu
d’nos croûtes d’pain

premiers beaux jours –
même les moineaux délaissent
nos croûtes de pain

nut d’pleine leune –
in cat traverse l’rue
tout duch’mint

nuit de pleine lune –
un chat traverse la rue
au ralenti

aub’ d’septimb’ –
dins les majons vigennes aussi
ches leumir’ alleumées

aube de septembre –
dans les maisons voisines aussi
lumières allumées

solé du matin –
inne vielle in sarrau bleu
su’ l’pas de s’porte

soleil du matin –
une vieille en tablier bleu
sur le pas de sa porte

au cau sous l’couette –
l’vint souffèle
au coin du tot

blottis sous la couette –
le sifflement du vent
à l’angle du toit

vint d’octob’ –
l’tchien d’mousse arvenu
d’rire l’porte

vent d’octobre –
le chien de mousse revenu
derrière la porte

levint les is
d’min lif’ –
un caracol

levant les yeux
de mon livre –
un escargot

l’cat au carreau
s’artourne tout d’un cop
… et arwette l’nutle

chat à la vitre
se retourne brusquement
… et regarde la nuit

frigo arfermé –
l’cusène arplonche
dins l’nut

frigo refermé –
la cuisine replonge
dans la nuit

pleuf’ du matin
du qui qu’minche l’ciel ?
du qu’alle finit l’mer ?

pluie matinale
où commence le ciel ?
où finit la mer ?

majon tout seu’
ches aboyaches inroués
de l’« kien méchant »

maison isolée –
les aboiements enroués
du « chien méchant »

solé d’hiver –
des coquillaches et du sab’
dins l’fond des poques

soleil d’hiver –
des coquillages et du sable
au fond des poches

premi cop d’glas –
les coulons du clotchi
inpliss’nt l’ciel

premier coup du glas –
les pigeons du clocher
emplissent le ciel

caïels in tas
au coin de l’terrasse –
tas d’feulles mortes

chaises empilées
au coin de la terrasse –
tas de feuilles mortes

un vol ed’mouchons
s’pose au beau mitan de l’rue
– diminche à midi

un vol de moineaux
se pose au milieu de la rue –
dimanche midi

l’vint d’automne
effeulle l’hayure –
l’gardin des vigins

le vent d’automne
effeuille la haie –
le jardin des voisins

dins l’soir qui vint
les leumires de l’ducasse
d’l’aut’ côtchi du port

dans le soir qui tombe
les lumières de la foire
de l’autre côté du port

rintré li aveuque
l’traineux de l’plache
– plus brun qu’mi

rentré lui aussi
le mendiant du centre ville
– plus bronzé que moi

vingt cents dins sin capiau
l’crane tout bronzi
du jeueux d’crincrin

vingt cents dans sa casquette
la calvitie bronzée
de l’accordéoniste

dins l’poke de s’maronne
l’derni ticket d’mongy
d’avant ches vagances

dans la poche de son pantalon
le dernier ticket de bus
d’avant les vacances

ouvrant l’fernete
pour ruer les milètes –
l’vint de l’mer

ouvrant la fenêtre
pour jeter les miettes –
le vent de mer

breume à l’vèpe –
inne benne d’bétraches
s’arvint in groulant

brume du soir –
un tombereau de betteraves
s’éloigne en grondant

drache d’septimb’ –
l’glin du gardin
crinche pus fort

averse de septembre –
la porte du jardin
grince plus fort

vint du bord du soir –
les brus de l’ducasse
in rafales

vent du soir –
les bruits de la ducasse
en rafales

co d’tonnerre –
l’ferniète
tronne

coup de tonnerre –
la fenêtre
tremble

nos pas su l’pavé –
d’cinse in cinse
les aboyaches d’ches kiens

nos pas sur la route –
de ferme en ferme
l’aboi des chiens

haïchti in suspens –
l’vin cau arsèche les mots
au bout de m’pleume

haïchti en suspens –
le vent chaud sèche les mots
au bout de ma plume

descint’ in roue lib’ –
des moukerons dins l’poke
de m’kemige

descente en roue libre –
des moucherons dans la poche
de ma chemise

pikète de l’jou –
m’ombe s’muche
dins celle du gauquier

pointe du jour –
mon ombre se fond
dans celle du noyer

sérant les batantes …
euvant les batantes …
moukes à mié dins les picholis

fermant les volets …
ouvrant les volets …
les abeilles sur les pissenlits